mercredi 26 novembre 2014

Métaphore donc... Daniel Pennac



Une métaphore ailée en l’occurrence.
Vercors, une fois de plus.
Un matin de septembre dernier.
Les tout premiers jours de septembre.
Je me suis endormi tard sur une quelconque page de ce livre. Je me réveille pressé de poursuivre. Je m’apprête à sauter du lit mais un subtil vacarme me stoppe. Ca piaille autour de la maison. Pépiements innombrables, à la fois intenses et tout à fait ténus. Ah ! oui, le départ des hirondelles ! Chaque année vers la même date elles se donnent rendez-vous sur les fils électriques. Champs et bords de route se couvrent de partitions, comme une image à trois sous. On s’apprête à migrer. C’est le vacarme des retrouvailles. Celles qui tournoient encore dans le ciel demandent autorisation d’alignage à celles qui sont déjà posées sur leur fil, toutes frémissantes du désir d’horizon. Magnez-vous, on y va ! On arrive, on arrive ! Ca vole à toute allure. Ca vient du nord, par bataillons hichcockiens, cap vers le sud. Or, c’est précisément l’orientation de notre chambre : nord, sud. Une lucarne au nord, une double fenêtre au sud. Et chaque année le même drame : trompées par la transparence de ces fenêtres alignées, un bon nombre d’hirondelles se cassent la tête contre la lucarne. 

Pas d’écriture ce matin, donc. J’ouvre la lucarne nord et la double fenêtre sud, je replonge dans notre lit, et nous voilà occupés pour la matinée à regarder les escadrilles d’hirondelles traverser notre piaule, silencieuses tout à coup, intimidées peut-être par ces deux allongés qui les passent en revue. Seulement, de part et d’autre de la double fenêtre, deux minces fenestrons verticaux restent fermés. L’espace est vaste entre les deux fenestrons, de quoi livrer passage à tous les oiseaux du ciel. Pourtant ça ne rate jamais, il faut toujours que trois ou quatre de ces idiotes se payent les fenestrons !
C’est notre proportion de cancres. Nos déviantes. On n’est pas dans la ligne. On ne suit pas le droit chemin. On batifole en marge. Résultat : fenestron. Poc ! Assommée sur le tapis. Alors l’un de nous deux se lève, prend l’hirondelle estourbie au creux de sa main – ça ne pèse guère, ces os pleins de vent -, attend qu’elle se réveille, et l’envoie rejoindre ses copines. La ressuscitée s’envole, groggy encore un peu, zigzaguant dans l’espace retrouvé, puis elle pique droit vers le sud et disparaît dans son avenir.
Voilà ma métaphore vaut ce qu’elle vaut mais c’est à cela que ressemble l’amour en matière d’enseignement, quand nos élèves volent comme des oiseaux fous. C’est à cela que certains auront occupé leur existence : sortir du coma scolaire une ribambelle d’hirondelles fracassées. On ne réussit pas à tous les coups, on échoue parfois à tracer une route, certains ne se réveillent pas, restent sur le tapis ou se cassent le cour contre la vitre suivante ; ceux-là demeurent dans notre conscience comme ces trous de remords où reposent les hirondelles mortes au fond de notre jardin, mais à tous les coups on essaye, on aura essayé. Ils sont nos élèves. Les questions de sympathie ou d’antipathie pour l’un ou l’autre d’entre eux n’entrent pas en ligne de compte. Bien malin qui pourrait dire le degré de nos sentiments à leur égard. Ce n’est pas de cet amour-là qu’il s’agit. Une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer, point final.



Daniel Pennac
Chagrin d’école

vendredi 21 novembre 2014

Vitalité, Andrée Chédid




Ce jour-1à
Tout ravivait l’espérance

Était-ce cette musique intime
Venue on ne sait d’où ?
Ou cette bouffonnerie joyeuse
Qui s’empare parfois de nos coeurs
Transformant chaque ride en rire
Chaque broussaille en horizon ?

Était-ce un écho
Qui comble soudain l’appel ?
Un rayon qui transperce les mailles ?
Une présence qui écarte les barreaux ?
Était-ce l’oiseau tenace
Balayant de ses ailes nos laborieux chagrins ?

Ce jour-là   la vie
Fendit ses écorces
Pour s’ébattre sans entraves
Dans tout l’espace du corps.


Andrée CHEDID
Le Chédid

Mango Jeunesse 2012