Une
métaphore ailée en l’occurrence.
Vercors,
une fois de plus.
Un
matin de septembre dernier.
Les
tout premiers jours de septembre.
Pas d’écriture ce matin, donc. J’ouvre la lucarne nord et la double fenêtre sud, je replonge dans notre lit, et nous voilà occupés pour la matinée à regarder les escadrilles d’hirondelles traverser notre piaule, silencieuses tout à coup, intimidées peut-être par ces deux allongés qui les passent en revue. Seulement, de part et d’autre de la double fenêtre, deux minces fenestrons verticaux restent fermés. L’espace est vaste entre les deux fenestrons, de quoi livrer passage à tous les oiseaux du ciel. Pourtant ça ne rate jamais, il faut toujours que trois ou quatre de ces idiotes se payent les fenestrons !
C’est
notre proportion de cancres. Nos déviantes. On n’est pas dans la ligne. On ne
suit pas le droit chemin. On batifole en marge. Résultat : fenestron.
Poc ! Assommée sur le tapis. Alors l’un de nous deux se lève, prend
l’hirondelle estourbie au creux de sa main – ça ne pèse guère, ces os pleins de
vent -, attend qu’elle se réveille, et l’envoie rejoindre ses copines. La
ressuscitée s’envole, groggy encore un peu, zigzaguant dans l’espace retrouvé,
puis elle pique droit vers le sud et disparaît dans son avenir.
Voilà
ma métaphore vaut ce qu’elle vaut mais c’est à cela que ressemble l’amour en
matière d’enseignement, quand nos élèves volent comme des oiseaux fous. C’est à
cela que certains auront occupé leur existence : sortir du coma scolaire
une ribambelle d’hirondelles fracassées. On ne réussit pas à tous les coups, on
échoue parfois à tracer une route, certains ne se réveillent pas, restent sur
le tapis ou se cassent le cour contre la vitre suivante ; ceux-là
demeurent dans notre conscience comme ces trous de remords où reposent les
hirondelles mortes au fond de notre jardin, mais à tous les coups on essaye, on
aura essayé. Ils sont nos élèves. Les questions de sympathie ou d’antipathie
pour l’un ou l’autre d’entre eux n’entrent pas en ligne de compte. Bien malin
qui pourrait dire le degré de nos sentiments à leur égard. Ce n’est pas de cet
amour-là qu’il s’agit. Une hirondelle assommée est une hirondelle à ranimer,
point final.
Daniel Pennac
Chagrin d’école